Eugène était si impliqué dans la vie de chacun des congréganistes, qu’il était naturel que ce soit lui qui administre le sacrement des malades aux jeunes personnes en danger de mort. Mais nous voyons ici une évolution dans sa relation avec les prêtres des paroisses d’Aix. Initialement, il serait allé de l’avant sans se soucier d’eux, mais après de nombreux conflits avec les pasteurs locaux, que nous avons déjà abordés dans de précédents billets, nous percevons une note de réalisme et de diplomatie lorsqu’il écrit dans sa Règle :
Art 43. M. le Directeur portera le saint viatique si cela ne contrarie pas le Curé de la paroisse, au moins il se trouvera chez le malade quand en lui administrera les sacrements.
A ce moment crucial de la vie du congréganiste malade, Eugène avait réalisé l’importance de rester proche de lui et de l’aider à apprécier pleinement la signification de ce sacrement – et à en vivre les effets :
Art. 44. Il s’y sera rendu avant pour le préparer à bien faire cette action, et il y restera après pour l’aider à remercier Dieu et à bien profiter d’une aussi grande grâce.
Statuts XIV, §2 Envers les congréganistes malades
L’Abbé de Mazenod est avant tout un homme de foi doté d’un cœur compatissant. L’expérience du Vendredi Saint 1807 lui a appris que seul Jésus Christ peut apporter le bonheur, fut-ce au milieu d’épreuves le plus souvent inévitables. Et c’est porté par l’enthousiasme de son caractère tout d’une pièce qu’il va se dépenser sans compter à soulager les plus pauvres.
Eugène de Mazenod manquait-il de réalisme comme le laisse supposer le titre de la réflexion d’aujourd’hui ? Une chose est certaine, le fils du Président n’a pas été préservé des côtés sombres de l’existence. On sait sa vie chaotique en exil. On sait combien il a souffert de la dissension de ses propres parents et quelle amertume lui ont apporté ses essais de vie mondaine à son retour à Aix. On ne peut douter que tant d’expériences ont contribué à affermir le caractère du Directeur de la Congrégation tout en lui faisant prendre nettement conscience d’une triste réalité à laquelle il peut apporter quelque adoucissement.
Eugène de Mazenod est un homme droit. Comme tous les êtres intrinsèquement bons, il ne peut mettre en doute la bonté de chacun. Et le missionnaire convaincu peut-il supposer que d’autres pasteurs verront dans ses initiatives une atteinte à leur prérogatives? Faut-il appeler cela manque de réalisme ou naïveté d’une âme pure ?
Quoi qu’il en soit, comme nous tous, il a appris de l’expérience. Les attaques virulentes des curés aixois l’ont amené à développer à leur égard une considération dont il semblait ignorer jusque là la nécessité. Prudence exprimée dans l’art. 43 des Constitutions : « M. le Directeur portera le saint viatique si cela ne contrarie pas le Curé de la paroisse, au moins il se trouvera chez le malade quand en lui administrera les sacrements. » Nul doute que cette ligne de conduite ait adouci les rapports entre les personnes concernées et que le ministère aux malades s’en soit trouvé facilité.
Que d’actes remplis de bonne volonté se retrouvent aussi porteurs de dissension parmi nous ! Parce que nul ne devine de prime abord la motivation profonde de l’autre, le dialogue se révèle de première importance. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… » Une clarté où chaleur et confiance peuvent devenir garantes d’une action encore plus efficace.