L’idéal d’Eugène, de former les jeunes à vivre l’amour de Jésus-Christ, devait être mis en pratique dans des situations réelles. Nous avons vu comment il le faisait pour la question de leurs relations les uns avec les autres. Maintenant Eugène touche à une situation qui était ordinaire dans la vie du 19ème siècle : celle de la maladie.
ART. 28. Cette charité tendre, affectueuse, compatissante, ne se développera jamais mieux que dans la maladie de quelque congréganiste.
Statuts, Chapitre XIII – Obligations spirituelles des congréganistes
Pour apprécier la force de ces mots, il est important de se rappeler qu’au début du 19ème siècle, dans la connaissance médicale, il n’y avait pas de médicaments comme les antibiotiques, par exemple. Les maladies que nous considérons comme faisant partie de notre vie de tous les jours aujourd’hui, mettaient souvent la vie en danger. Beaucoup de personnes jeunes tombaient malades, et devaient être soignés. C’était là que les membres de la Congrégation des jeunes devaient mettre en actes leur préoccupation les uns pour les autres.
Saint Benoit avait compris l’importance de soigner les membres malades du monastère quand il a écrit dans sa Règle, à peu près 1300 ans auparavant :
On prendra soin des malades avant tout et par-dessus tout. On les servira comme s’ils étaient le Christ en personne, puisqu’il a dit: « J’ai été malade et vous m’avez visité » (Mt 25,36), et « ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40)
« J’ai été malade et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus à moi » (Mt 25 :36). À n’en pas douter, ces paroles de Jésus ont eu un impact profond sur Eugène de Mazenod. Parce qu’elles parlent de situations bien concrètes et que, la maladie, il connaît…
Eugène a connu l’errance de l’exil et ses mésaventures de toutes sortes, certes pas garantes d’une santé parfaite. Ce qu’il découvre à son retour en France ne peut que toucher davantage son cœur déjà sensibilisé à des situations difficiles.
1814. À Aix, une épidémie de typhus sévit dans les prisons. Prenant conscience de l’abandon profond des prisonniers, Eugène leur procure sans compter réconfort spirituel et présence humaine. Au péril de sa vie, car le voici à son tour touché par la terrible maladie. Mais ses enfants prient et veillent sur lui. Revenu à la santé, le Directeur de la Congrégation de la Jeunesse écrit : « Puisque c’est lui qui rédige ces procès-verbaux, pourrait-il se refuser de consigner ici les témoignages du tendre intérêt que lui ont marqué ces chers enfants dans cette circonstance. Ah! ils sont profondément gravés dans son cœur, et jamais ce qu’ils ont fait pour lui ne s’effacera de sa mémoire. » Reconnaissance qu’il va traduire par « l’affection qu’il conservera toujours pour eux, les prières qu’il ne cessera de faire pour leur salut, et tous les soins qu’il continuera de leur donner… »
Même attitude au chevet du jeune Joseph Antoine Chabot mourant « auprès duquel [Eugène] se transporte cinq ou six fois par jour, souvent accompagné de quelques Congréganistes qui sont bien aise de faire cet acte de charité ».
Ce mouvement du cœur, ne le retrouve-t-on pas dans tous ceux qui donnent de leur temps aux malades ? Je pense aux nombreuses visites dont les Oblats vieillissants sont l’objet, aux dévouements souvent cachés de ceux qui accompagnent tant de personnes hospitalisées que l’esseulement pourrait abattre davantage.
Pendant des années, j’ai été pour mon mari ce qu’on nomme communément ‘aidant naturel’. Je connais les difficultés de toutes sortes, inquiétudes, découragements, mouvements d’humeur que comporte cette situation.
Mais je sais aussi quels trésors de tendresse peuvent surgir d’une telle relation où se découvre petit à petit le véritable sens de la vie, où chacun donne et reçoit à son tour. Et combien cette vie peut devenir abondance à la suite de Jésus Christ.