La nature de l’engagement qu’Eugène et les Missionnaires étaient sur le point de prendre fut changée par leurs vœux et leur oblation. Ce n’était plus seulement une adhésion temporaire qui pourrait arriver à terme lorsqu’ils allaient en être fatigués – mais ils allaient maintenant s’engager envers cet idéal et ce mode de vie pour le restant de leurs jours.
À cette lumière, Eugène réalisa encore plus fortement que de son rôle de gouvernance dépendait non seulement le bien-être du groupe, mais aussi le salut de ceux auprès desquels ils allaient exercer leur ministère.
Ce n’est pas sans effroi que je considère les obligations énormes que le Seigneur m’a imposées en me chargeant d’un ministère si étendu et si important.
Comment! de ma fidélité à correspondre aux grâces de Dieu, car ce secours est toujours proportionné aux besoins, dépend peut-être le salut d’une infinité d’âmes.
Si je suis fervent, la communauté à la tête de laquelle je suis, le deviendra davantage et des populations entières se ressentiront de cet accroissement de zèle et d’amour.
Si je suis lâche au contraire, la communauté en souffrira un détriment notable et les peuples en seront la victime, et tandis que je devais attirer et sur les uns et sur les autres une infinité de grâces de perfection ou de conversion, au jour du jugement ils s’élèveront tous contre moi pour me demander compte des trésors dont je les ai privés par ma faute.
Cette seule pensée lui fait peur :
J’avoue que cette pensée est si effrayante que j’aurais été tenté de succomber au découragement et renoncer à travailler au salut des autres.
Et pourtant, toutes les expériences qu’il avait traversées depuis la fondation des Missionnaires, trois ans auparavant, le convainquent qu’il était en train de faire ce que Dieu veut.
Mais je me suis convaincu que ce parti n’était pas le plus sûr, puisque le Seigneur m’ayant manifesté sa volonté soit par la voix des supérieurs, soit par les succès dont, malgré tant d’obstacles et d’oppositions, il a couronné toutes les œuvres dont il m’avait chargé, je n’échapperais pas à la condamnation que je redoute en me retirant du combat, en rentrant dans la paisible solitude après laquelle je soupire..
Retraite d’un jour, pendant la retraite de la communauté, le 30 octobre 1818,
E.O. XV n. 148
Une oblation, ça change chacun et ça peut aussi changer le monde ! Voilà ce que pense Eugène de Mazenod à la veille du grand jour.
Une fois le grand don prononcé, la vie ne sera plus jamais la même pour les Missionnaires de Provence. ‘’L’unité de pensée et d’action’’ ne pourra qu’y gagner. Un vif sentiment d’admiration pour la générosité de ses confrères doit habiter le Fondateur faisant jaillir une action de grâce et une prière des plus ferventes pour que leur soit donnée la force de persévérer aux moments difficiles.
Pourtant, accepter de but en blanc l’oblation définitive et les implications du nouveau champ d’apostolat ne ressemblerait pas au prêtre que nous connaissons, celui qui sait si bien aller jusqu’au bout de sa pensée.
C’est plus que de la peur qui habite Eugène. Le 30 octobre 1818, il note dans son Journal de retraite : « Ce n’est pas sans effroi que je considère les obligations énormes que le Seigneur m’a imposées en me chargeant d’un ministère si étendu et si important. » Pires encor, l’impact de sa propre conduite sur ses missionnaires, et les « peuples » confiés à leur soin, et le terrible jour du jugement où tant de manquements pourraient lui être reprochés…
Aucune porte de sortie : « Je n’échapperais pas à la condamnation que je redoute en me retirant du combat, en rentrant dans la paisible solitude après laquelle je soupire. »
Et puis tout de même, il lui faut le reconnaître : le Seigneur s’est fait entendre « soit par la voix des supérieurs, soit par les succès dont, malgré tant d’obstacles et d’oppositions, il a couronné toutes les œuvres dont il m’avait chargé. »
Tout est dit. Eugène et les Missionnaires de Provence feront à Dieu l’oblation définitive de leur vie. En résumé, on peut dire que le Fondateur a pris cette décision ‘’les deux pieds sur terre’’ dans la reconnaissance de sa fragilité et de la grâce de Dieu toujours présente avec lui.
Une attitude capable de nous aider dans les moments décisifs. Parce que « la vérité rend libre » (Jn 8 :32). Alors à la lumière de nos expériences passées et certains de la grâce divine toujours présente, nous pourrons avancer en toute confiance vers des chemins nouveaux.