EUGENE: UN JEUNE, À LA DÉCOUVERTE DE SOI

© Laurent Girard / Studio Mazenod (2011) – Tableau du Jean-Jacques Martin
1802 – Sur l’insistance de sa mère, Eugène revint en France à l’âge de 20 ans. Sa mère avait divorcé de son père afin de récupérer les biens de la famille, confisqués par les autorités révolutionnaires.
Style de vie d’un jeune noble, sans orientation dans sa vie, il alterne entre plaisir et ennui, et n’a aucune perspective d’avenir.
Or il n’y a pas une demoiselle qui me convienne à Aix… Et puis encore, c’est que je la veux très riche, ce qui est bien difficile à trouver.
Lettre à son père à Palerme le 10 mai 1804
Comment suffire aux plaisirs que me présente la charmante ville d’Aix?
Lettre à son père à Palerme le 27 janvier 1804
Faites un résumé de tout cela, et vous verrez qu’on finira à Aix par crever de plaisir.
Lettre à son père à Palerme le 18 janvier 1805
Ensuite, il faut tout dire, ce dégoût vient beaucoup aussi de ce qu’il n’est pas dans mon caractère de vivre pour planter des choux. Je sens que je ne suis pas à ma place, et j’enrage de voir s’écouler mes plus belles années dans une oisive obscurité. Vous jugerez si je dois être fort gai, quand vous saurez que ma pensée roule là-dessus toutes les fois que je suis seul.
Lettre à son père à Palerme le 12 avril 1804
En France, la paix civile religieuse est rétablie. « Mme de Mazenod réclame avec insistance le retour de son fils. Déchirement profond pour celui-ci, « partagé … entre la joie de retrouver sa mère et la tristesse d’abandonner son père et ses oncles » (*). Déchiré au point d’en tomber malade… Ce n’est qu’après son rétablissement, qui se fait attendre plusieurs semaines que, « le 11 octobre 1802, le Président et ses frères accompagnent Eugène au port en refoulant leurs larmes » (*).
A Marseille, il est accueilli par « des amis de son père » (*). Au cours d’un bref séjour dans sa famille, sa mère l’envoie à Saint-Laurent du Verdon où il « trouvera à meilleur prix un remplaçant grâce auquel il sera exempté de la conscription » (*). De ce château délabré, sans doute appelle-t-il de tous ses vœux le moment de se trouver réuni une fois pour toute avec sa mère. Peut-être a-t-il hâte aussi de goûter enfin aux plaisirs prometteurs d’Aix-en-Provence.
Tout cela va lui être offert en même tant que des désillusions profondes. Il doit se rendre à l’évidence : « lui qui comptait réunir ses parents », (*) que leur foyer est « définitivement brisé ». (*) Un projet de mariage s’éteint brusquement avec la mort de la jeune fille fortunée pressentie par Marie-Rose Joannis. Les exigences du jeune homme vont rendre difficile sinon impossible la découverte de l’oiseau rare. Il écrit en effet à Charles Antoine de Mazenod : « or il n’y a pas une demoiselle qui me convienne à Aix… Et puis encore, c’est que je la veux très riche, ce qui est bien difficile à trouver ».
Eugène va continuer à goûter à la vie si mondaine et si trépidante de la « charmante ville , qu’on se demande (écrit-il encore à son père) «comment suffire aux plaisirs » qu’elle présente sans risquer d’y « crever de plaisir ». En même temps il lui parle avec la plus grande confiance du dégoût que lui inspire une existence qui lui paraît d’autant plus vaine qu’il a le vif sentiment « de voir s’écouler [ses] plus belles années dans une oisive obscurité ».
Les insécurités de l’exil, l’amour de son père et de ses oncles, tout autant que la générosité des amis à qui il doit d’avoir pu continuer à étudier, à lire, à réfléchir ont marqué définitivement le jeune aristocrate. Jamais les plaisirs de la vie tumultueuse à laquelle il s’essaie ne vont réussir à le combler. Bien au contraire, ils vont faire naître en lui le sentiment d’urgence d’avoir à donner à sa vie une orientation différente.
Ne nous est-il jamais arrivé d’établir une relation de cause à effet à première vue impensable entre les événements de notre vie et ce que nous sommes aujourd’hui ?
N’avons-nous pas vécu de ces choses parfois difficiles pour lesquelles nous n’aurions jamais cru, sur le moment, devoir rendre grâce à Dieu. ?
Oui, de tels moments existent pour lesquels nous pouvons dire avec le P. Paul Arsenault, o.m.i. « Que de fois sur notre route d’Emmaüs le Christ nous a convaincus qu’il fallait que nous passions par tel événement ou telle épreuve pour comprendre désormais la direction et la signification de notre vie ».
(*) Petite vie de Eugène de Mazenod – Cardinal Roger Etchegaray