LE SEIGNEUR DU MANOIR

Les cinq mois passés à Saint-Laurent ne font que trop éclairer sur l’état du domaine familial : bâtiments dégradés, tour en ruine, appartements pillés et vides de mobilier, terres mal cultivées. Il a pu en outre s’édifier sur les procédés et la mentalité des métayers, des fermiers, des paysans, qui empêchaient la remise en valeur de la propriété. Eugène prétendait bien faire rendre gorge à ceux qui pillent les récoltes, interdire la vaine pâture et le captage des eaux « dans nos malheureuses ferrages  », voire même percevoir certaines censes que l’Assemblée législative avait jadis soumises au rachat. Mais la raideur intransigeante de son caractère et de sa jeunesse ne contribuait nullement à obtenir le respect de ses droits les moins contestables. Au lieu d’impressionner la population, ses allures d’aristocrate achevaient d’indisposer celle-ci :

«Je donne ici un petit coup d’œil à la moisson et je me flatte que ma présence intimide les voleurs. Je ravaude toute la journée, ayant une longue canne d’une main, un parasol dans l’autre et, soit dit entre nous, ayant bien l’air du seigneur de céans»,

écrivait-il à son père, sur un ton satisfait, qui trahit son inconscience des réalités nouvelles. On ne pouvait plus maladroitement incarner l’Ancien Régime, exécré des paysans qui avaient tant gagné à la Révolution. »  LEFLON I, 262-263

Il est difficile de croire que ce jeune homme changerait si radicalement et deviendrait l’ami et le ministre des plus abandonnés dans les années futures. La grâce de Dieu fait des miracles…

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“La noblesse sans la vertu est un beau décor sans un joyau.”    Jane Porter

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1 réponse à LE SEIGNEUR DU MANOIR

  1. Denyse Mostert dit :

    De la maison des Cannizzaro au manoir décrépit de Saint-Laurent-du-Verdon il y a un pas terriblement difficile à franchir. C’est pourtant là qu’Eugène, en quête d’un remplaçant pour le service militaire, va devoir passer quelque temps.On devine cependant qu’il ne va pas se laisser aller au désespoir. Pour l’heure, c’est au piètre état des cultures qu’il compte s’attaquer.

    « «Je donne ici un petit coup d’œil à la moisson et je me flatte que ma présence intimide les voleurs. Je ravaude toute la journée, ayant une longue canne d’une main, un parasol dans l’autre et, soit dit entre nous, ayant bien l’air du seigneur de céans», écrit-il à son père. On reconnaît bien ici le jeune enfant de la Cour des Comptes qui disait de lui-même : « … J’exigeais ce que je désirais avec un ton impératif… je frappais, et tâchais d’enlever de force ce qu’on ne voulait pas me céder. »

    Pauvre « Monsieur le Comte » ! Il ne se rend pas compte qu’il faut autre chose qu’un air hautain et des colères historiques pour changer quoi que ce soit à des habitudes solidement enracinées… ! Que les métayers qui lui nuisent volontairement ne tiendront nullement compte des conseils d’un ‘blanc-bec’ ignorant tout des choses de la terre et qui de plus est l’incarnation vivante de ces aristocrates chassés par la Révolution… !

    C’est là une expériences que les meilleurs conseils ne peuvent permettre d’éviter… Avec les souvenirs cuisants qui s’y rattachent… Avec la réflexion qui nous sortira d’un ego envahissant et nous permettra de tenir compte des sentiments de ceux avec qui nous pourrons avoir des choses délicates à régler.

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