Mon oncle dût-il me gratifier du titre d’étourdi, je ne dois pas passer sous silence un petit accident assez fâcheux qui m’arriva dans ce lieu. Pressé de me rendre à l’église, je priai un compagnon de voyage, qui était chargé de trouver une voiture qui nous conduisît à Nice, de retirer mes effets du véhicule que nous avions pris à Cannes. Il mit à l’abri, en effet, ma malle, mon sac de nuit et mon parapluie; mais, n’ayant pas aperçu le carton de mon chapeau, dans lequel se trouvaient aussi mon fameux couvre-chef de velours et quelques rabats, il laissa repartir la voiture nantie de mon dépôt. Quand je revins de l’église, il n’était plus temps; il fallait partir pour Nice, où je suis arrivé sans chapeau. J’avais été sur le point d’être obligé de le laisser à Aix: deux accidents qui prouvent que les chapeaux sont faits pour être placés sur la tête. Tout espoir n’est pourtant pas perdu: l’aubergiste d’Antibes me promit de le réclamer le jour même et de me l’envoyer aujourd’hui à Nice. Il est cinq heures, et je ne l’ai point vu venir. Vous voyez, mon cher, que mon voyage, sans être héroïque, ne manque pourtant pas d’épisodes.
Je parvins enfin à Nice avec la cinquième voiture, en comptant celle qui me conduisit de Marseille à Aix, et arrivé à l’auberge, j’eus soin de faire savoir au chanoine curé que j’étais consigné à l’auberge jusqu’à ce qu’il m’eût envoyé un chapeau. Je priai Dieu en attendant tant bien que mal, et le chapeau m’ayant été envoyé, en l’absence du curé, par sa servante, je sortis pour aller rendre mes devoirs à Monseigneur,
Lettre à Henri Tempier, Novembre 1825, EO VI n. 204
Sans doute, en ces jours-là, on ne pouvait apparaître pour visiter quelqu’un d’important sans porter un chapeau!
Tandis que nous sourions face à la consternation d’Eugène, voici une « citation de chapeau » digne d’un sourire : « Une couronne n’est qu’un chapeau qui laisse entrer la pluie. » Frédéric le Grand.
1825.
Qui eut pensé qu’un chapeau égaré puisse revêtir tant d’importance pour Eugène de Mazenod ?
Un chapeau, un simple chapeau et voilà de quoi alimenter une lettre sur un ton qui semble hésiter entre l’amusement et le sérieux … Car enfin, on ne badine pas avec les usages bien établis ! Visiter une personnalité le chef découvert ne se fait tout simplement pas en 1825.
L’Oncle Fortuné n’aurait pas eu complètement tort de qualifier son neveu d’étourdi. Compte tenu de la raison du voyage, Eugène n’aurait-il pas dû ou bien garder le chapeau sur la tête, bien malcommode d’ailleurs pour un si long voyage, ou en emporter un second au cas où… Ce qui est improbable pour qui connaît le sens de l’économie du Fondateur… Mais tout est bien qui finit bien et Eugène dûment chapeauté, peut enfin aller présenter ses devoirs « à Monseigneur ».
Il faut reconnaître que si un tel usage s’est adouci aujourd’hui, il est loin d’avoir disparu. Tout le monde sait que les évêques ont conservé l’usage de la mitre, voire de la crosse. Je ne crois pas me tromper en affirmant que les assemblées de cardinaux ne se présentent au Vatican que la tête couverte du petit calot rouge… Je pense aussi aux nombreuses photos montrant la pourpre cardinalice dans tout son éclat !
Comment parler de ce décorum à l’existence tenace ? «Vanité des vanités » pourrait-on asséner d’un seul coup… et ce serait le jugement irrévocable.
D’un autre côté, j’avoue ne pas être insensible aux démonstrations extérieures mettant l’accent sur l’importance d’un événement et la pertinence des participants.
L’importance de ce « bavardage pour un chapeau », n’est-elle pas finalement la réaction d’Eugène ? Pas question pour lui d’ignorer l’incident, non plus que de le dramatiser à l’excès. Au contraire, prendre les décisions opportunes pour y remédier et, avec un humour sous-jacent faire goûter les péripéties de l’histoire à Henri Tempier.
Là encore, notre saint patron fait feu de tout bois. Un simple chapeau perdu et voici une parabole pour tous ceux que le moindre petit contretemps met aux abois. Et je dois avouer que j’en suis à l’occasion…