Pour Eugène, devoir aller à Rome pour demander l’approbation des Oblats était un grand pari. Le groupe était petit et il risquait de paraître présomptueux et d’être rejeté à Rome. Leflon décrit l’indécision d’Eugène :
“Alors se pose à nouveau le problème du départ pour Rome du Supérieur général. Il faudra encore trois mois, pour quo celui-ci se résolve à recourir au Saint-Siège; repris par ses hésitations, le P. de Mazenod faillit même renoncer à son voyage, mais les adjurations de ses missionnaires, les injonc-tions formelles du P. Albini surtout le déterminèrent à une démarche, qui lui paraissait hasardée et lui coûtait. Entre ce dernier et lui, rapporte Jeancard, il y eut :
« des entretiens dont je ne connais pas tous les détails, mais qui furent décisifs dans l’esprit du Fondateur. Je lui ai entendu dire plusieurs fois :
« Le P. Albini finit par me dire : Allez, allez, mon père ! et ce disant, il me poussait de ses deux mains par les épaules ».
Cette insistance du P. Albini, qui se manifestait même par une impulsion physique, où les formes du respect le cédaient à un sentiment d’une puissance surnaturelle, produisit dans les pensées du Supérieur général un effet d’autant plus grand qu’il y vit comme une direction d’en haut. C’est sur la foi d’une parole, accompagnée d’un geste si expressif de la part de celui dont la sainteté lui était bien connue, qu’il prit une résolution définitive. » Leflon, Volume 2, p. 275
“« L’esprit de décision est une caractéristique d’hommes et de femmes très performants. À peu près toute décision est meilleure que pas de décision du tout. » Brian Tracy
Tout de même fondées les hésitations du Fondateur à s’en aller solliciter du Pape l’officialisation de la Congrégation ! Les membres en sont peu nombreux et toutes sortes de rumeurs désobligeantes ont circulé à son sujet…
Le combat chez Eugène de Mazenod est si fort qu’il semble vouloir l’emmener à renoncer. Des moments difficiles qu’il a la sagesse de ne pas garder pour lui seul. Le P. Jeancard parle d’entretien « dont [il] ne connait pas tous les détails, mais qui furent décisifs dans l’esprit du Fondateur» Ainsi celui avec le P. Albini dont Eugène dira à plusieurs reprises : « Le P. Albini finit par me dire : Allez, allez, mon père ! et ce disant, il me poussait de ses deux mains par les épaules ».
Cher P. Albini ! S’est-il rendu compte de ce qu’une telle familiarité pouvait avoir d’incongru? Peut-on la qualifier de prophétique ? C’est elle en tout cas qui entraîna la détermination finale d’Eugène de Mazenod.
Il y aurait tant à en dire ! On pourrait parler d’un compagnon digne de confiance, d’un Supérieur à qui la sagesse dicte de partager ses soucis, et par-dessus tout du désir de deux religieux qui veulent avant tout le bien de leur Congrégation.
Il y aurait en même temps à réfléchir sur l’espèce de respect humain qui sait si bien nous renfermer sur nous-mêmes pour y tourner en rond sur des décisions que nous n’arrivons pas à prendre. Bien sûr, la quête de lumière chez autrui peut ressembler à de la faiblesse. Mais quel soulagement lorsque le partage du problème débouche sur l’acte bien concret que, livré à soi-même, on n’arrivait pas à poser !
Saint Paul d’ailleurs n’a-t-il pas dit : « C’est dans la faiblesse que je suis fort »? (Cor 12,9) Le Seigneur peut ainsi nous parler à travers un simple geste et quelques paroles empreintes d’amitié et de compréhension.