Écrivant de Reims à Tempier, son confident fidèle, Eugène continue à réfléchir sur la conduite pompeuse des dignitaires présent à la consécration du roi.
Il est heureux pour vous, mon cher Tempier, que je ne vous écrive qu’après avoir exhalé mon humeur atrabilaire dans les deux lettres que je viens de faire pour Aix et pour Paris. Si c’est là tout ce que le monde peut offrir de beauté, quelque séduisants que soient pour d’autres tant d’éclat, tant de ravissantes chimères, je n’en suis que plus raffermi dans le mépris qu’il mérite et qu’il m’a toujours inspiré. En parcourant ces beaux appartements, ces portiques superbes, l’église même, qui semble avoir momentanément changé d’objet, n’être plus la maison de Dieu, mais le temple somptueux de la vanité…
Mes réflexions me portaient plus loin, quand je considérais les hommes qui s’attroupent ici et, sans sortir de notre caste, quelle pitié de voir tant de vanité! On fixe des regards avides sur des rubans, sur des cordons; le bleu, le rouge et le violet font ouvrir de grands yeux. On loue, on admire, on s’extasie; et moi, n’en dites rien, dépouillant en esprit tout ce monde de ces livrées, je me moque, j’ai pitié, ou je m’indigne. N’allez pas croire pourtant que mon stoïcisme me rende injuste; non! je rends hommage en passant à la vertu quand je la rencontre, mais il est rare qu’elle soit telle que je l’entends, comme je l’aimerais.
Lettre à Henri Tempier, 27 mai 1825, EO VI n.179
« Dieu a créé le monde à partir de rien; et ainsi, aussi longtemps que nous ne sommes rien, il peut faire quelque chose à partir de nous. » Martin Luther
27 mai 1825. Lettre à Henri Tempier.
Dès les premier mots, tout est dit. « « Il est heureux pour vous, mon cher Tempier, que je ne vous écrive qu’après avoir exhalé mon humeur atrabilaire dans les deux lettres que je viens de faire… »
« Atrabilaire… » Le dictionnaire fournit quantité de synonymes pour cet adjectif rarement entendu. Parmi ceux-là : acariâtre, acrimonieux, aigre etc… que leur vigueur me fait hésiter à attribuer à l’humeur du Fondateur. Il n’en reste pas moins qu’ils décrivent à merveille ses sentiments lors du couronnement de Charles X.
Que s’est-il passé ? Il est certain que ce couronnement, répond aux vœux du monarchiste convaincu qu’est Eugène de Mazenod. Cependant, aucune trace de cette allégresse que le P. Tempier pouvait s’attendre à trouver dans les propos de son ami.
Bien au contraire, « tout ce que le monde peut offrir de beauté, tant d’éclat, tant de ravissantes chimères », n’inspire que mépris au Vicaire général. L’église elle-même, «semble avoir momentanément changé d’objet, n’être plus la maison de Dieu, mais le temple somptueux de la vanité… » Et l’assistance est à l’avenant. Où est le Seigneur pour tout ce beau monde « aux regards avides » qui « loue… admire… s’extasie » ? Une telle ambiance justifie amplement ce que, le mot « atrabilaire » semblait avoir d’exagéré.
On peut se demander ce que dirait aujourd’hui notre Fondateur devant certains mariages,baptêmes, funérailles et autres événements dont la signification profonde le cède plus souvent qu’à son tour à l’apparence ? Ne nous arrive-t-il pas aussi de trouver déplorable une telle dissipation ?
Qu’y faire sinon vivre avec tout le recueillement possible ces instants si importants dans nos vies humaines ? Attitude qui va dire notre foi en Dieu et notre respect pour ceux qui nous entourent.