Eugène, dont la vie était totalement consacrée à servir les autres, en vint maintenant à une importante découverte : il ne pourrait bien servir les autres que s’il s’occupait de son propre bien-être. Autrement, il n’aurait plus rien à offrir aux autres :
Le besoin était pressant car mon esprit est si borné, mon cœur si vide de Dieu que les soins extérieurs de mon ministère, qui me jettent dans une continuelle dépendance des autres, me préoccupent tellement que j’en suis venu au point de n’avoir plus du tout de cet esprit intérieur qui avait autrefois fait ma consolation et mon bonheur.…
Eugène avait dépensé son énergie et ses ressources en étant dépouillé de lui-même vis-à-vis des autres, mais il avait ignoré son bien-être personnel spirituel et physique.
Je n’agis plus que comme une machine dans tout ce qui me regarde personnellement. Il semble que je ne suis plus capable de penser dès qu’il faut m’occuper de moi-même. S’il en est ainsi quel bien pourrais-je faire aux autres? Aussi se mêle-t-il mille imperfections dans mes rapports habituels avec le prochain qui me font peut-être perdre tout le mérite d’une vie qui est entièrement consacrée à son service..
À 36 ans d’âge, il était en train d’apprendre qu’il ne pourrait être tout le temps un « jeune enthousiaste », sautant d’un projet à l’autre. Il avait besoin de prendre soin de lui-même de façon à rendre des services plus efficaces aux autres.
Cet état a justement de quoi m’alarmer; il y a longtemps que je le sais sans avoir pu encore y remédier. Je vais aujourd’hui, avec le secours de Dieu, travailler soigneusement à mettre un tel ordre dans mes actions que chaque chose reprenne sa place afin que la charité du prochain ne me fasse pas manquer à la charité que je me dois à moi-même d’autant plus que le meilleur moyen pour être vraiment utile au prochain sera indubitablement de travailler beaucoup sur moi-même.
Notes de retraite, mai 1818, E.O. XV, n. 145
Après des mois d’absence, voici Eugène de Mazenod de retour à Aix. Au « besoin pressant » qui l’attend , il se consacre corps et âme, préparant sans le savoir, un burn-out comme plusieurs d’entre nous ont goûté.
Un unique souci : les tâches à accomplir. Au détriment de toute vie intérieure et de ce ‘’frère Âne » qu’il malmène sans répit. Incapacité « de penser dès qu’il faut m’occuper de moi-même, reconnaît-il. « Mille imperfection » dans les « rapports habituels avec autrui ». Et l’inévitable question : » » S’il en est ainsi quel bien pourrais-je faire aux autres?
Tant de constatations « alarmantes » réclament une attention immédiate. Décision difficile à prendre quand on ignore les demi-mesures. Heureusement, « le secours de Dieu » peut aider à « tout remettre en ordre ».
Les Notes de retraite d’Eugène sont un solide avertissement des dangers qui guettent les bourreaux de travail invétérés. Elles nous disent aussi la foi éclairée du Fondateur. Une foi toute « mazenodienne » confiante dans « le secours de Dieu » tout en sachant qu’il lui appartient d’être lui-même l’agent de son propre cheminement.