Quant aux honneurs qu’ils se plaisent à dire que je sollicite sans pouvoir les obtenir, il faut qu’ils sachent que je n’avais qu’à me baisser pour en prendre;
Ce ne sont pas les honneurs qu’Eugène désire – il a déjà trouvé les trésors de Dieu dans la communauté et dans le ministère pastoral où ils sont engagés:
mais s’ils connaissaient toute la force et toute l’étendue de l’affection que j’ai pour vous autres d’abord, qui êtes [mes] frères, mes amis, d’autres moi-même, et ensuite l’intérêt que m’inspirent les âmes de cette jeunesse, qui a été si cruellement abandonnée à elle-même, tant que je ne me suis pas chargé de la conduire dans la bonne voie, en employant les moyens qu’il était au pouvoir des curés d’employer et qu’ils devaient par conséquent employer comme je l’ai fait par la grâce de Dieu et comme vous le faites avec moi; s’ils connaissaient, dis-je, mes sentiments à cet égard, ils cesseraient de s’étonner que je renonce aux honneurs qui m’ont été offerts pour rentrer dans cette famille chérie, simple prêtre, comme pour me livrer derechef à toutes les perfidies dont j’ai déjà éprouvé de si cruelles atteintes.
Lettre à Henri Tempier, 24 novembre 1817, E.O. VI n.30
Qu’est-ce qui a motivé les abominables suppositions qui pèsent sur Eugène ? Bien des choses en vérité que les détracteurs se garderont bien de laisser percer.
S’agit-il de réactions de personnes ‘bien pensantes’ incapables de supporter l’attention que portent Eugène de Mazenod et ses missionnaires à ceux qu’ils considèrent comme de jeunes ‘voyous’ ? Craignent-il que le fait de les accueillir puisse porter ombrage à la ‘respectabilité’ d’institutions séculaires ? Ou encore y a-t-il des curés qui voient leur échapper une ‘clientèle’ potentielle dont ils se sont pourtant jusque là tenus soigneusement éloignés ?
‘Qui sort du rang dérange’ dit une maxime populaire. Il est évident que les innovations des Missionnaires et la réponse enthousiaste de la jeunesse d’Aix peuvent se percevoir comme un reproche implicite par ceux qui ne semblent même pas s’être aperçus qu’il suffisait d’un peu d’attention et de beaucoup de tendresse pour ouvrir l’avenir à ces victimes innocentes de la Révolution.
Le plat de résistance pourrait bien se trouver dans la noblesse dont Eugène de Mazenod est issu, des traits de caractères innés qui le suivront toute sa vie. Que l’on innove, soit, mais que cela ne vienne pas d’une caste soi-disant supérieure venue donner des leçons aux roturiers ! De là à accuser le fils de l’ancien Président de la Cour des Comptes de se servir des relations huppées de sa famille, il n’y a qu’un pas. Tout heureux encore, de constater qu’aucune situation ‘honorable’ ne semble répondre aux supposés efforts d’Eugène de Mazenod en ce sens !
C’est un homme et un prêtre profondément blessé qui confie à Henri Tempier : « Quant aux honneurs qu’ils se plaisent à dire que je sollicite sans pouvoir les obtenir, il faut qu’ils sachent que je n’avais qu’à me baisser pour en prendre…».
L’Histoire a démontré la véracité de cette affirmation. « Dès le début de son ministère, Eugène refuse une responsabilité diocésaine de prestige afin d’aller aux pauvres, aux travailleurs, aux jeunes, aux malades et aux prisonniers», précise le site de la Maison générale des Oblats. (*) Sa fidélité à l’appel reçu un Vendredi Saint lui fait également refuser l’invitation de son ami Forbin-Janson à se joindre aux Missionnaires de France. Et si, par après il semble heureux du projet de l’évêque d’Aix qui pense à faire de lui son vicaire, Eugène confie encore à son ami Tempier… «… Non point que je tienne à être grand vicaire; pour moi, cela m’est indifférent et me serait même très à charge; mais l’avantage pour notre œuvre était incalculable, et je ne l’envisageais que sous ce point de vue… » (**)
Il suffit de lire l’Introduction au Journal de la Congrégation de la Jeunesse où le Fondateur décrit en termes très éloquents la situation qui prévaut sous « l’infâme Buonaparte » pour comprendre non seulement la pertinence mais l’absolue nécessité d’une oeuvre pour la jeunesse. (***)
Faute de mieux, on lance des suppositions sur ses rapports avec ces enfants qu’il aime ; on tente de dénaturer l’amour de père qu’il leur porte…
Réaction lumineuse d’Eugène de Mazenod : « … S’ils connaissaient toute la force et toute l’étendue de l’affection que j’ai pour vous autres d’abord, qui êtes [mes] frères, mes amis, d’autres moi-même, et ensuite l’intérêt que m’inspirent les âmes de cette jeunesse, qui a été si cruellement abandonnée à elle-même… ils cesseraient de s’étonner que je renonce aux honneurs qui m’ont été offerts pour rentrer dans cette famille chérie, simple prêtre, comme pour me livrer derechef à toutes les perfidies dont j’ai déjà éprouvé de si cruelles atteintes. »
Et voilà. La riposte vient droit du cœur. Un cœur déchiré par tant de noirceur mais une foi solide et le soutien de ses compagnons qui vont faire qu’Eugène ne baissera pas pavillon.
(*) http://omiworld.org/content.asp?sezID=&catID=0&artID=2&pag=5
(**)Lettre à Henri Tempier, le 9 octobre 1817
(***)Journal de la Congrégation de la Jeunesse, le 25 avril 1813