QUAND LA POPULATION ENTIÈRE AU MILIEU DE LAQUELLE ON VIT NE FAIT PAS USAGE D’UNE CHOSE, IL SERAIT IMPARDONNABLE DE LA REGRETTER

Nous avons suivi les misères d’Eugène pendant les nombreux mois de sa grave maladie, de sa lente convalescence et de ses soucis concernant les bouleversements politiques et antireligieux. Nous avons vu aussi sa frustration de s’être trouvé loin de sa famille Oblate et de ses proches du diocèse de Marseille. Maintenant que le soleil brillait de nouveau  avec l’arrivée de ses jeunes Oblats, Eugène savourait chaque minute de son temps avec sa famille.

Je suis encore dans le ravissement, mon très cher ami, du bonheur dont j’ai joui pendant les neuf jours que j’ai passés au sein de la famille de Billens. J’étais privé depuis si longtemps de vivre ainsi avec tous ces anges, que j’en ai senti davantage le prix. Ma présence leur était fort agréable, ils ne se lassaient pas de me le témoigner; je pense aussi qu’elle leur était utile sous plusieurs rapports, ne fût-ce que pour les accoutumer par mon exemple à quelques privations indispensables, qui sont d’ailleurs bien rachetées par tous tes avantages qui se rencontrent dans cet agréable séjour.

Alors, comme vrai Provençal français, où le pain et le vin était leur diète quotidienne, il commente la difficulté de s’accoutumer à la nourriture en Suisse!

Le pain est fait de méteil [mélange de blé et de seigle], mais il est bon; c’est énorme ce qu’on en mange. Les gens du pays, qui en mangent très peu parce qu’il est cher, et que les pommes de terre, qui sont excellentes, y suppléent, n’en reviennent pas. Figurez-vous que j’ai été obligé de faire pétrir deux fois dans un jour. Le vin est très mauvais dans ce pays-ci et très cher; aussi les paysans n’en boivent point; ils ne s’en trouvent que mieux. La privation n’en est pas sentie; elle est d’ailleurs trop conforme à la pauvreté pour qu’on se permît de la regretter. Quand la population entière au milieu de laquelle on vit ne fait pas usage d’une chose, il serait impardonnable de la regretter. À Billens, l’eau est de première qualité; tout le monde la trouve bonne et s’en contente; on mange tous les jours une copieuse et très bonne soupe à déjeuner, c’est l’usage du pays; on en fait autant le soir. 

Lettre à Henri Tempier, le 24 octobre 1830, EO VII n 367

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1 réponse à QUAND LA POPULATION ENTIÈRE AU MILIEU DE LAQUELLE ON VIT NE FAIT PAS USAGE D’UNE CHOSE, IL SERAIT IMPARDONNABLE DE LA REGRETTER

  1. Denyse Mostert dit :

    À Billens, Eugène savoure le « ravissement » de l’arrivée des 14 scolastiques, et la joie de se retrouver enfin avec les siens. Ce qui ne l’empêche nullement de s’arrêter sur des réalités bien concrètes. Comment un bon Provençal ne commenterait-il pas le pain « de blé et de seigle » et le vin « très mauvais… et très cher [que] les paysans [ne] boivent point… »`

    Le formateur n’est jamais bien loin. Les nouveaux arrivés peuvent bien trouver le menu insipide, la privation en est pour autant acceptable. « L’eau est de première qualité; tout le monde la trouve bonne et s’en contente; on mange tous les jours une copieuse et très bonne soupe à déjeuner, c’est l’usage du pays; on en fait autant le soir. »

    Ceci n’améliorera en aucune façon le menu habituel mais ouvrira les cœurs à une réflexion salutaire. Comment ne pas accepter de bon cœur des habitudes nouvelles qui par ailleurs s’imposent aux gens du pays ? La privation librement consentie deviendra ainsi partie intégrante du « tout pour Dieu » de la vocation oblate.

    Ceci me fait penser aux pénitences assez contraignantes du Carême de jadis. Une fois offertes elles devenaient le plus souvent source de joie. Comme peuvent le devenir tant de choses répétitives que nous trouvions au préalable ennuyeuses.

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