Après le départ de Napoléon, les choses ont changé en France et le Pape a demandé de prêcher des missions afin de restaurer l’état de l’Eglise de France, ravagée. L’ami d’Eugène, Charles Forbin Janson a immédiatement répondu en lançant un groupe de missionnaires, et il a invité Eugène à ce joindre à eux. Eugène répond :
Moi, je n’y pense pas pour le moment… je prévois que je serai bientôt dérangé. Mon père et mes oncles sont au moment de rentrer. Ils ont, à leur arrivée, un besoin indispensable de moi. Il faudra ensuite que je les place.
Après, je serai à moi, si toutefois cela est possible; car, dès à présent et depuis longtemps, je suis le serviteur [de tous] et à la disposition du premier venu. C’est apparemment la volonté de Dieu.
Lettre à Forbin-Janson, le12 septembre 1814, E.O. XV n 128
Les semences d’une orientation future semblent avoir été plantées dans l’esprit d’Eugène – mais pour le moment il trouve la volonté de Dieu dans ses occupations présentes.
Pour l’avoir lu dans plusieurs ‘’vies de saints’’, un peu anciennes d’ailleurs, j’ai longtemps cru que ces privilégiés ‘’étaient saints dès le sein de leur mère’’. Enfin, la plupart d’entre eux. Pour les autres à qui la grâce de Dieu avait fait prendre une conscience très forte de l’aberration de leur conduite, il me semblait qu’ils s’étaient engagés dans une conversion éclatante, définitive, sans aucun retour sur eux-mêmes.
La conversion, un acte magique, définitif qui vient balayer d’un seul coup limites et faiblesses ? Les années qui passent m’ont heureusement délivrée d’une illusion somme toute un peu décourageante si on considère le cheminement, plein de bonne volonté certes, mais le plus souvent chaotique de la plupart d’entre nous.
Nous sommes en 1814. Forbin Janson songe à établir un groupe de missionnaires pour ‘’restaurer l’état de l’Église de France ravagée.’’ Tout naturellement il invite Eugène à se joindre à eux. La réponse que lui fait son ami a-t-il provoqué chez lui de l’étonnement comme il l’a fait pour moi ? Elle est on ne peut plus claire : « Moi, je n’y pense pas pour le moment… Mon père et mes oncles, sont au moment de rentrer. Ils ont, à leur arrivée, un besoin indispensable de moi. Il faudra ensuite que je les place. »
Un refus qui n’a rien de définitif et qui pourtant a suscité en moi une pointe d’indignation. Cette fin de non-recevoir semblait tellement éloignée de l’ardeur missionnaire du jeune prêtre que j’avais appris à connaître !
En y pensant deux fois, voici que la réponse qui m’a paru de prime abord négative se transforme en un hymne à cette ‘’liberté des enfants de Dieu’’, un Dieu ne s’impose pas, qui respecte nos cheminements. Un hymne à la patience divine qui nous amène petit à petit à discerner où se trouve sa véritable volonté. Un hymne à l’amour enfin qui doit être bien présent chez Eugène de Mazenod alors qu’il se sent appelé à aider d’abord sa famille qui va rentrer d’exil. Et, quoique ce mot soit plutôt malvenu de nos jours, j’aimerais y voir aussi un hymne au renoncement. En effet, il ne me paraît pas impossible qu’une telle décision ait été difficile à prendre par un missionnaire aussi ardent.
Et toujours on retrouve le caractère entier d’Eugène de Mazenod. Aujourd’hui, c’est dans l’aide à sa famille désemparée qu’il voit la volonté de Dieu. Demain, d’autres discernements le feront s’engager dans des voies différentes… Et toujours, on retrouvera chez lui ‘’charité et zèle pour les âmes’’ qu’il a pratiqués avec persévérance toute sa vie durant.
Oui. Je peux dire que ma ‘’pointe d’indignation’’ s’est vraiment transformée en admiration pour l’œuvre de Dieu en chacun de nous